La nouvelle version du CESEDA (Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile), texte de Sarkozy intitulé « Avant-projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration », est un projet qu’on peut à bon droit nommer fasciste. Porté par le parti politique dont Sarkozy veut se faire un tremplin, il sied de le préciser en fascisme UMP. Un tel mot n’est-il pas exagéré ? Ou pire : usé, et passe partout, employé seulement pour désigner un dessein politique haïssable ? Il s’agit tout de même de faire qu’une partie du peuple en France soit privée de tout droit, n’ait aucune perspective de régularisation - la régularisation par une loi de dix ans, déjà inappliquée, devant être symboliquement abrogée -, n’ait ni accès au regroupement familial ni à la santé. Il s’agit de faire qu’une partie du peuple, donc, soit livrée à la persécution, réduite à sa seule force de travail, ôtée à la vie commune, abandonnée à la police et à la traque. Oui, d’esprit, un projet est bien fasciste, quand tout le pouvoir à l’Etat se résout en tout le pouvoir à la police, que c’est aux corps répressifs qu’est réservé de veiller à un ordre dont seules des lois d’exception dessinent les contours. Tandis que la société, divisée non en parties mais en « races », pas encore inférieures mais non républicaines, s’absente et se trouve contredite dans son principe, qui est de se différencier de l’Etat. Fascisme UMP que ce CESEDA impliquant d’ailleurs une transformation qualitative de l’Etat, que Sarkozy propose avec sa VI ème République. Vieux mot, quoique sans doute pas trop fort pour une triste situation nouvelle. Pourtant en fait, me dira-t-on, on ne tue pas en masse les étrangers, on ne les place qu’en camps de rétention, on les expulse au lieu de les brûler. L’Etat qui nous gouverne est démocratique.
Défendre les amoureux, défendre les ouvriers
Tout cela, je vous l’accorde. Mais, la multiplication des lois d’exception ? Mais, surtout, l’esprit du projet, qu’en faites-vous ? Si vous en faites ce que proposent certains groupes, offrant de se battre contre le projet Sarkozy uniquement au nom de l’interdiction, inique en effet, où sera quiconque de se marier avec un étranger pauvre, alors il ne reste plus qu’à crier : « défendez les amoureux, nous défendrons les ouvriers ». Et les uns et les autres, nous porterons la responsabilité de ce qu’un esprit fasciste règne encore une fois sur la France.
Non, ce n’est pas cela qu’il convient de dire. Il faut exiger la légalisation du travail, ce travail que tous ceux qui tombent sous le coup du projet sarkozien accomplissent depuis des années en France et qui sont des ouvriers ou des ouvrières en ce pays. Que la loi norme cette réalité et l’ensemble des mesures contre les étrangers n’auront plus de lieu pour être.
Repousseriez-vous par hasard le mot « fasciste », parce que le consensus, alimentant l’ensemble des partis de gouvernement, soutient le sécuritaire ? Qu’à droite comme à « gauche, on n’a pas d’autre mot à la bouche. Pas d’autre mot quand les jeunes de banlieues s’insurgent, quand des gens résistent aux expulsions. Ce sécuritaire, ayant l’aval des principaux partis de gauche, hésite-t-on à le stigmatiser du mot ici choisi, parce que « PS fasciste » semble imprononçable ? On ferait pourtant bien de considérer que cet englobement n’est pas de fantaisie vindicative : Cette similitude de position entre UMP et PS n’est-elle pas le résultat tangible d’un PS votant pour Chirac en 2002 ? Comment être opposés sur le fond après cela ? Et je ne dis que « projet d’esprit fasciste ».
Mais pour que ce projet soit possible, il faut que la situation ne soit pas bonne. “La situation n’est pas bonne...”, commente un ami des foyers. Étrange pour vous, sans doute, que ceux qui se préoccupent le plus de la France et de son avenir soient des sans papiers. Pourquoi disent-ils que ce qui n’est pas bon pour eux n’est pas bon pour la France ? Sans papiers patriotes ! on aura tout vu ! “Je suis venu en France pour travailler mais aussi pour tous les Français...” dit un encore Demba.
Sarkozy l’aventurier de la situation
Sarkozy, donc, propose un projet de loi, qui est aussi un programme évidemment destiné à servir sa campagne électorale pour les présidentielles de 2007. Ce projet, s’il devenait loi, viendrait augmenter et renforcer le nombre des lois d’exception aujourd’hui votées comme des lois ordinaires. Car, lois d’exception elles sont, par leur contenu, si elles restent formellement parlementaires (loi Perben, lois sur l’interdiction du foulard, dont nous demandons l’abrogation).
Sarkozy manifeste ainsi qu’il participe au dérèglement général, à la formation de zones de non-droit et aux mesures liberticides, prises ou proposées dans de nombreux pays démocratiques, en Angleterre, aux USA. Sarkozy voudrait aussi un changement de République (il n’est pas le premier) avec pleins pouvoirs accordés au Président, possibilité pour lui d’intervenir à la chambre des députés, et avec un Premier ministre sans pouvoir. Toutes choses dont le souvenir remonte à Napoléon III, raison pourquoi un régime taillé de cette façon, est appelé “bonapartisme”. Or, le bonapartisme est, dans une France non envahie, la forme de la dictature... Sarkozy, un Napoléon plus petit que celui que Victor Hugo nommait déjà Napoléon le petit, pour le distinguer de celui qui fut vaincu à Waterloo ?
Bipolarité et consensus
En vérité, Sarkozy est l’aventurier d’une situation : le dispositif constitutionnel gaulliste de la Vème République supposait une droite et une gauche véritables. Aujourd’hui, le consensus, particulièrement le consensus sécuritaire, efface toute bipolarité, tout débat, toute opposition et provoque pour cela disfonctionnement et errance. La constitution de la Vème République ne convient plus à une République consensuelle. Et en conséquence, les partis sont réduits à n’être que cadres vides, que formes d’organisations majoritaires. À savoir, non plus des partis d’opposition (et de majorité), mais tous majoritairement des partis étatiques.
Que signifie « partis étatiques » ? Certes, des partis dont le seul rôle et la seule ambition est de fournir un personnel à l’Etat. Mais plus sûrement, des partis dont le seul contenu est étatique. C’est donc l’Etat, à travers eux, qui organise. Et non pas des programmes, des positions clairement distinctes.
Il faut bien comprendre que désormais le parti, quel qu’il soit, n’est que le dispositif organisationnel de l’Etat. L’Etat est devenu authentiquement un Etat-parti. Le dispositif français hérité de la Vème République est donc inadéquat. On peut même aller plus loin : l’absence d’une possibilité réelle d’alternance, entre une droite et une gauche clairement distinguables, permet un tête-à-tête entre le juridique (les lois) et le politique (l’Etat).
La prise de lois d’exception ne manifeste-t-elle pas une sorte de gouvernement direct par l’Etat ? Car, qui peut prendre une loi dont le contenu est d’exception, quand même la forme serait le vote par l’assemblée, si ce n’est l’Etat lui-même ? Il a fallu le couple UMP-PS pour que la prédominance du sécuritaire soit totale, et efface le gaullisme nationaliste. C’est de cette transformation-là de l’Etat que Sarkozy est l’aventurier dont je parlais.
Aventurier à coup sûr et même mésaventurier. Le Sarkozy électoral ne risque-t-il pas des mésaventures ? Imaginez que 2007 soit un autre 2002. Imaginez un deuxième tour où, Sarkozy en tête, on appelle aux armes (électorales) : « Barrez la route à l’infâme » Et tout bonnement, là comme en 2002, tous contre Sarkozy, que u• le candidat qu’on lui oppose soit d’un parti de droite ou de gauche. Sarkozy échouerait au profit d’un cas de figure dont 2002 (vote pour Chirac de la « gauche ») a montré qu’elle n’était que la reconduction du malaise.
Ce malais, a de plus vastes dimensions : dérégulation de la notion de guerre, lois d’exception partout dans le « monde occidental » parlementaire : Patriot act aux Etats-Unis ; en Angleterre, propositions de Blair d’une garde à vue de 90 jours, exorbitante à tout droit admissible, ramenée à 50 jours, déplacements des voitures conservées par informatique durant trois ans ; politiciens aventuriers en Italie (Berlusconi), au Japon même...
Le vainqueur vaincu
C’est que la mondialisation supposait le triomphe de la démocratie. Il faut voter pour être démocrate, entendait-on partout. Et soudain, après la victoire du Hamas en Palestine, ce crétinisme démocratique n’est plus de mise. La démocratie n’est soudain plus le vote, dit la droite américaine après le triomphe du Hamas, tandis qu’en Irak on compte les bulletins pendant un mois, espérant trouver autre chose que le succès du parti religieux. Eh oui, la démocratie, quand elle n’est pas à l’avantage du plus fort (les Américains en l’occurrence), n’est plus si formidable. Et ceux qui avaient furieusement prôné jusqu’à la démocratie par les bombes, soutenant avec entrain l’invasion de l’Irak, se retrouvant avec les seules bombes, sont obligés de défendre surtout ce côté du massacre. Autrement dit, si la mondialisation supposait la victoire de la démocratie, la démocratie s’étant révélée la guerre, il y a aujourd’hui errance de la victoire et de son vainqueur. Cette errance qu’on a dite en France se manifester dans le dérèglement des partis, est générale : Berlusconi, en Italie, en est le résultat, et la transformation du Labour en New labour, et la Grande coalition en Allemagne...
Ce qui se donne de plus évident, c’est que l’Etat devient discriminatoire. L’Etat qui avait à se prétendre « pour tous », que l’on pouvait parfois nommer « Etat du peuple entier », qui était supposé traiter les gens pour ce qu’ils étaient, dans leur inégalité, mais non par leur discrimination, ne compte plus tout le monde. L’exercice étatique devient d’exclure des gens. Alors, dans la conjoncture prétexte et proaméricaine du terrorisme, commencent les politiques étatiques contre les étrangers. Étranger en leur pays lui-même, comme cela fut dit lors du soulèvement des banlieues. La société elle-même, qui jadis savait s’en distinguer, ne sait plus demeurer une force alternative à l’Etat : elle se fond en lui.
Et au mot démocratie succède, hélas, le mésusage du mot « républicain ». Les jeunes, qui flambent leur révolte, ne sont pas républicains ni les jeunes filles qui manifestent, en se couvrant à la mode musulmane qu’elles sont de confession musulmane. Ni vous ni moi. Allez, gens d’en France, encore un effort pour être républicain ! Ceux qu’on réprouve, ceux qui s’opposent ne sont pas républicains. Républicain est devenu le nom de l’Etat français autoritaire, et le nom du peuple qu’une ségrégation divise en français et en étrangers.
Natacha MICHEL