J’aime les livres de Florence Delay. J’aime La fin des temps ordinaires (1996) autant que L’insuccès de la Fête (1980), autant que Course d’amour pendant le deuil et Riche et légère (titre qui est un manifeste de son art poétique), et le Aïe Aïe de la corne de brume, Minuit sur les jeux, son premier livre, me préparent à aimer les suivants. Quant à Exemendi, qui ouvre ce qu’on appellera un jour sa seconde période, il ne revient pas bredouille de cette chasse, parfois mortelle, qui consiste à s’exposer à la lecture. Ne hante pas la littérature qui veut, surtout s’il ne s’agit pas d’en être le fantôme, ou le revenant. Mais capable d’y faire résonner un écho. Car la littérature est un mur solide et épais, un fronton, dirait notre FD, amante des basques, et certains tentent de l’ébranler à grands coups, de le flatter à petits coups, alors que tout l’art de la pelote est de la faire, et d’amasser le coup juste.
Cette question de la justesse est l’aiguillon qui pousse Florence Delay à écrire. Elle n’écrit pas pour rien, ni pour gagner sa vie ou le succès : pour trouver. Quoi ? Le sens de sa vie, la signification du monde ? Pas exactement. Pour trouver la question à une réponse que donne chaque livre, pour trouver la question que pose chaque livre, chaque fois différente et cependant liée. Du premier roman qui dit ce qu’elle ne veut pas être (une bourgeoise, même surnaturelle), au troisième L’insuccès de la fête qui dit ce qu’elle est (au travers du destin et du devoir de l’écrivain qui prescrivent d’être intempestif, au point de préférer l’échec à la victoire) ; de Course où elle poursuit ce qui est plus grand que soi, un maître par exemple, à La fin des temps ordinaires, roman du miracle et du miracle chrétien (le miracle n’est pas, contrairement à l’opinion commune, ce qu’on désire, mais ce qu’on n’attendait pas, non ce qu’on cherche mais ce qui vous trouve, un don et pas le résultat d’une quête), l’œuvre de FD va de surprise en surprise, de négation en négation, afin qu’une vérité advienne. Une vérité pour le roman et par le roman. Car Florence Delay tient au roman, il est ce qui, vous débarrassant de vous-même, du je étroit, de l’autobiographie, vous offre enfin la liberté. Et la justesse. Celle aussi de ce qu’on appelle le style, de ce que je nomme la langue, que Florence Delay n’a pas à constituer, la possédant d’emblée. Cette écrivain scrupuleuse, cette auteur sérieux de romans pris au sérieux, sait d’emblée que seule l’impertinence des mots, qui ne peut être établie que sur leur pertinence - rassembler en un seul tous les sens qu’il peut prendre -, cet écrivain attentif sait que seule la légèreté (qui n’est pas frivolité mais allégement, rapidité), fixe, comme les os le calcium, la richesse de la langue. Et elle sait que cette richesse n’apparaît que lorsque, inversant la définition de Gide : " Le français est un piano sans pédales " (entre parenthèses, aveu curieux de sa part), entendez un piano sans nuances, on ne l’écrit, le français, que le pied, la main, sur les nuances. " Malheur à moi je suis nuance ", écrivait un jour l’auteur de ces lignes. Bonheur à Florence Delay, elle est nuance.
Natacha Michel