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Ecrits de Natacha Michel

L’inspiration des égaux. Entretien avec Florence Delay par Natacha Michel

Paris, Le Perroquet, Mai 84, numéro 37-38

(mai 1984)

- Florence DELAY : On pourrait commencer par la modernité puisque c’est l’épine dans le coeur. La modernité est un mot... je ne sais pas si je l’ai vraiment aimé, ce mot, mais il représentait tout ce que je voulais être alors qu’en fait ce qui m’a constitué était de l’ancien.

- Natacha MICHEL : Ce que tu écartes plutôt ne serait-ce pas l’air du temps, ce qui est contemporain plutôt que moderne ? La littérature telle qu’elle est où Sagan coexiste avec Guyotat, et où c’est cette coexistence qui rend possible les deux ? Il y a eu un moment avec sens de l’histoire où la littérature avait un sens, elle allait vers son avenir à sa manière - est-ce cela qui n’est plus possible ?

- Florence DELAY : Tu comprends, on ne peut se prétendre moderne que si on accomplit une révolution. Sinon il faut reconsidérer la question. Si tu veux, le mot moderne est adéquat s’il y a rupture. S’il n’y a pas rupture on entre dans les « ismes ». Le seul « isme » créateur du siècle, si je prends pour exemple la langue espagnole, s’est paradoxalement et justement accouplé au mot moderne. On date la modernité en langue espagnole de Rubén Dario, fondateur du « modernismo », premier poète d’ Amérique de langue espagnole. Il a accompli une révolution dans la métrique et après lui les poètes ont eu un rythme, des strophes, des vers différents. Sans Rubén Dario l’explosion formidable en poésie qu’ il y a eu en Espagne n’existerait pas : c’est la vengeance de l’Amérique sur l’Espagne ! Après, vont se multiplier les « ismes » qui eux ne sont que des tentatives de définition de soi-même. Et ce n’est pas parce que l’on tente de se définir soi-même qu’on est moderne.

- Natacha MICHEL : Entendu pour le sens donné à révolution dans plusieurs domaines. D’accord pour les « ismes », la rupture en farce, son bavardage, sa répétition. Mais la question n’est pas cela : c’est de savoir ce qu’on peut faire avec notre temps, quel emploi du temps ?

- Florence DELAY : Je pense qu’il faut se reposer des faux mouvements. Et ce repos serait, en quelque sorte, de nier le temps en littérature et de le trouver dans le monde. Je m’explique : ne plus chercher la différence signifiante entre écrivains anciens et contemporains, Allemands ou Américains : prendre tout... enfin, ne pas chercher exclusivement le moderne dans la contemporanéité. Soyons totalement libres dans l’espace et le temps. Littérairement parlant, laissons entrer ce qui nous importe, de n’importe quel siècle, de n’importe quelle langue. Par contre, si le monde actuel nous échappe, c’est loupé pour nous. C’est-à-dire le monde, les vérités du monde : il n’y a que le monde qui donne des vérités.

- Natacha MICHEL : Alors néant de la littérature ?

-  Florence DELAY : Le but de la littérature est... J’arrive de Madrid où circule pour la plus grande joie des Espagnols, un pamphlet contre les Français : ce qui est reproché à la littérature française est de n’avoir jamais créé un personnage qui fasse monde comme Hamlet, Faust, Sigismond, don Juan, don Quichotte.

- Natacha MICHEL : Que de princes ! Elle a créé Pantagruel, Julien Sorel, Gavroche, l’Étranger (même si je ne l’aime pas), Rastignac, « La Condition humaine » comme personnage, et le narrateur, et cette personne mi-roman mi-réel qu’on peut figurer par Sartre et qu’on nomme l’engagé... plus Jérôme Bardini, Suzanne, Marianne, etc...

- Florence DELAY : On ne demande pas à la littérature de créer un personnage mais une espèce.

- Natacha MICHEL : « L’Espoir » en avait créé une.

- Florence DELAY : Les exemples que tu donnes, Julien Sorel, le narrateur de Proust, l’Étranger (que nous n’aimons pas) oui... mais le libelle vise le fait que les Français sont tout juste capables de s’ approprier des éléments trouvés ailleurs.

- Natacha MICHEL : Ce reproche est un juste retour de province. Ne s’agirait-il pas de nous faire entendre que la France universelle c’est la révolutionnaire et l’irrédentiste ? Celle qui combat le conservatisme et ne l’admet pas, d’abord et principalement en elle, la Commune, ou une certaine façon de penser la politisation hors du social, et que la France de Mitterrand et des droits de l’homme c’est juste la province qu’il nous faut ? Alors ce qui fut, des écrivains critiques, des écrivains...

- Florence DELAY : Nous avons besoin de grandes critiques et non pas de petits. Ou alors que la France soit un no man’s land.

- Natacha MICHEL : Ce n’est pas possible.

- Florence DELAY : Non puisqu’elle est hexagonale !

- Natacha MICHEL : C’est le pays d’une capitale ?

- Florence DELAY : (Entre parenthèses c’est le problème d’un de mes cours, sur Paris 1900-1936). Oui à la pensée, mais si nous circonscrivons le problème à celui du roman, de la fiction ? Oui à la pensée, c’est sûr, mais avons-nous créé dans la fiction de l’universel ?

- Natacha MICHEL : Quel est ton rapport à tes personnages dans tes livres ?

- Florence DELAY : Mon premier personnage, celui de « Minuit sur les jeux » s’appelle « je ». Les Espagnols disent « yo soy » (ce qui est la seconde partie du cogito), il suffit aux Français de dire « je ». Il est évident que « je » n’est pas un « moi ». Le moi ne m’intéresse pas. C’est vrai que je préfère au « Connais-toi toi-même » le « Connais le monde ». Je ne crois pas du tout à la connaissance de soi. La connaissance de moi est ce que je fuis comme ennemie. Comme un ennemi. Ce que je veux, mais hélas ! je n’ai pas assez de hardiesse, c’est la connaissance du monde, qui n’est pas littérature. C’est pourquoi j’ai peur de l’expression « faire monde » !

- Natacha MICHEL : Qui est pour moi une des contraintes du roman, ce sans quoi il n’est pas roman.

- Florence DELAY : C’est l’histoire du monde. Moi je ne suis pas dans l’histoire, seulement dans la confidence. Je ne comprends du monde que deux problèmes dont je suis confidente : les immigrés et le problème basque. L’un et l’autre me plongent dans le désarroi mais ne me laissent pas muette. Alors que ce qui se passe au Moyen-orient, en Palestine, en Afghanistan, ne suscite aucune parole en moi. Les deux problèmes qui sont réels pour moi sont ceux dont je suis la confidente. Le reste, c’est de la politique journalistique. Je ne peux rien sentir en lisant un journal, ni rien comprendre d’ailleurs. Or il n’est pas sûr, si une fois on me dit d’aller au feu, que je n’y aille pas. Parce que je ne suis pas lâche. Je ne me sens pas lâche.

- Natacha MICHEL : Qu’est-ce qui t’empêchait, en quelques occasions, d’aller voir ailleurs si tu y étais ? Tout cela est oublié, et cela signifie que c’est passé...

- Florence DELAY : Il pourrait y avoir le sentiment abject d’avoir fait l’économie de vos erreurs.

- Natacha MICHEL : En définitive, tout ce qui est conçu comme écart revient du pareil au même. Mais nous n’avons pas fait d’« erreurs ». N’ont fait erreur que ceux qui se sont repentis.

- Florence DELAY : Tu emploies le langage de la foi qui est la clef ou la serrure de mon défaut principal. Je me demande parfois si c’est parce que j’étais chrétienne... L’idée la plus catastrophique de ma vie m’a été donnée par l’Espagne, c’est pourquoi je lui suis si reconnaissante : le monde est un théâtre et la vie est un songe. L’Espagne a donné au monde des idées terribles, des idées de guerre civile.

- Natacha MICHEL : Est-ce que c’est parce qu’à une idée pareille (la vie est un songe), on ne peut répondre que par la guerre... à cette idée ?

- Florence DELAY : Le monde est un théâtre et la vie est un songe. Quand bien même je ne suis pas fière de le dire, je le pense un peu.

- Natacha MICHEL : Et si je te réponds par « Le Marchand de Venise », la tirade de Shylock : « Si vous nous piquez, est-ce que nous ne saignons pas ? ».

- Florence DELAY : Comment n’ai-je jamais pu m’engager, moi, dans aucune lutte réelle ? car je ne crois pas qu’il y ait un engagement propre à l’écrivain. On en a beaucoup remis sur tout cela. Pour en arriver à... « l’écriture c’est la mort ». Quand même !

- Natacha MICHEL : Il y a aussi tout simplement que le concept de littérature engagée est usé, ce n’est pas par lui que passe ce à quoi il croyait répondre.

- Florence DELAY : Je ne supporte pas l’écriture de la mort, le martyre de l’ écrivain, l’écrivain transformé en Christ, qui donne son sang d’encre sur le bois du papier - la croix étant la page ! - qui crucifie son moi pour qu’il soit publié et lu par des millions de chrétiens ! Non, ça je ne peux pas. Leiris, Blanchot, Bataille. Le grand combat de l’écriture...

- Natacha MICHEL : Mais alors, écrire ce ne serait rien ?

-  Florence DELAY : Démenti de ce que je viens de dire, rendons hommage à Leiris : écrire c’est s’exposer. Dans « la littérature considérée comme une tauromachie » qui précède « l’Age d’homme » Leiris convoque « ne serait-ce que l’ombre d’une corne de taureau dans une oeuvre littéraire ». Oui, et cela renvoie au taureau réel. Je m’explique. Il n’y a pas de martyre individuel, il y a un vers d’une élégie quechua à la mort d’Atahualpa (l’empereur Inca assassiné par les conquérants espagnols), qui dit : « Devant le martyre de la séparation infinie, le coeur se brise ». Ici, il s’agit de la séparation d’un peuple d’avec celui qui le gouverne, en tant que Soleil, distribuant ses biens sur tous. Le martyre n’est jamais celui d’un individu mais d’une idée. Et il est insupportable de faire de l’idée de l’écrivain un martyre. L’autre idée que je ne veux pas laisser en dehors, c’est ma position joyeuse. Au plus. Au moins : opposer au faux martyre le dandysme de l’humour. Position joyeuse, active, blessante, blessée, joyeuse de la blessure. Et puisqu’on y est... j’éprouve aussi une profonde aspiration comique. Sans doute parce que devant le drame je suis restée coite.

- Natacha MICHEL : Dénoncer ce qui dans le drame n’est pas dramatique par le rire ?

- Florence DELAY : Faire rire... non ce n’est pas exactement cela. Je voudrais introduire comment à la déploration opposer la jubilation. C’est ce rire qui fait qu’on est vengé.

- Natacha MICHEL : Sans s’être battu, sans cette identification là ?

- Florence DELAY : Le problème du rire est métaphysique. Ce n’est pas la palisanterie de notre cher auteur Tchécoslovaque. Le rire est ce qui secoue les Indiens d’Amérique quand leur personnage mythique fondamental, Coyote, transgresse les interdits. Interdits si forts qu’ils ont été vaincu. Il était inconcevable pour un chef indien de revenir sur la parole donnée, par exemple, ce que les Blancs n’ont cessé de faire.

- Natacha MICHEL : Mais n’es-tu pas alors dans la position du public, idéal, qui rit ?

- Florence DELAY : Revenons au taureau. Il y a le taureau réel. Si, vraiment. C’est pourquoi nous avons horreur de l’idée d’un message qui pourrait être le message d’un moi. Si c’est le message d’un soi, ou d’un autre, c’est déjà plus intéressant.

- Natacha MICHEL : Ton second personnage c’était Adèle du « Aïe aïe de la corne de brume ».

- Florence DELAY : Adèle et Charlie : le plus grand mouvement de pensée sur l’ amour qui ait été mis au point par le monde, en l’occurrence les troubadours, vécu par deux adolescents d’aujourd’hui. Dans ce livre, j’ai tenté d’appliquer une grille sur la réalité. Appliquer un code sur du réel pour magnifier et le code et le réel. Ce qui était beau c’était le code et le réel. A propos... le libelle espagnol contre les Français leur reproche de s’être arrêtés de créer après les troubadours ! Moment où pensée et forme découvraient ensemble... Et là, c’est une « révolution ». Le « aié aie » est un petit aperçu des bienfaits de cela. C’est vrai, c’était cela. C’est pourquoi j’ai parfois prétendu, au delà de mes forces, que je n’inventais rien, que je n’aimais pas l’originalité, que j’aimais le commun, le partagé, la littérature partagée, sans temps et sans espace.

- Natacha MICHEL : Au mot « moderne » tu as répondu par le cosmopolitisme, la littérature sans temps ni espace. J’emploie volontairement cosmopolitisme, en insistant sur le début, plutôt « cosmos » au sens ancien que « politisme ».

- Florence DELAY : Tu connais mon amour pour les écrivains discrets, si discrets que sur ce qu’ils inventent, d’autres s’établiront et fonderont capitale. Valery Larbaud est un de ceux là. Larbaud de façon discrète invente « La modification » de Michel Butor (dans « Mon plus secret conseil »). Et Larbaud est le premier Français à indiquer aux Latino-Américains que leur capitale n’est pas Paris mais Lima, Quito, Bogota, Buenos-Aires, c’est-à-dire qu’il faut créer des capitales partout, à savoir des lecteurs, car déjà le problème mondial est l’analphabétisme, qui est autre chose que le fait de ne pas savoir lire ni écrire. Les capitales ne sont peut-être que des endroits où le programme de la maternelle, lire et écrire, est rempli. Seront capitales les lieux où l’on croira que remplir ce programme de la maternelle est possible.

- Natacha MICHEL : L’enfance de l’art et ses problèmes de famille ?

- Florence DELAY : Madrid, ayant été la métropole des colonies latino-américaines, en dépit de la langue partagée, est devenue marâtre. Paris est devenu le père. Il a fallu une guerre civile pour que Madrid redevienne une mère. En témoigne le poème de ce Vallejo que tu aimes : « Madre Espagna ». Une langue peut-être marâtre ou mère. Il est entre nos mains, entre nos mains droites, que la langue française le soit.

-  Natacha MICHEL : Ce que tu entendais par universalité, et celle-ci non pas raide el pompeuse, dressée sur elle-même, mais attitude, c’est la capacité d’une langue à être traduite ?

- Florence DELAY : Pour qu’une langue redevienne aimée il faut qu’elle lutte il qu’elle lutte non pour elle-même mais pour des faits concrets. Tu comprends, c’est terrible, les faits concrets... sont des idées, Je songe au grand poème de Machado défendre dans l’Espagne « de la rabia y de la idea »..

- Natacha MICHEL : La France de la rage et de l’idée ?

- Florence DELAY : ... contre l’Espagne de toutes les Carmen qui envahissent le Marché Commun parce qu’elles sont enfin libres de tout droit. Tu vois comme on retombe dans la misère de la propriété puisqu’il n’y a pas de plus grande misère que la propriété.

- Natacha MICHEL : Tu serais, en fait pour un tiers-monde spirituel ?

- Florence DELAY : Mais je suis une bourgeoise. Est-ce que le tiers-mondisme n’est pas une bonne conscience ? Mon premier livre était un adieu, du type « Vous avez le bonjour de Robert Desnos », bonjour qui est un mauvais jour. Il faudrait aller le vivre ailleurs cet adieu, pas à Paris capitale imaginaire. Et je ne suis pas incapable de dire adieu à Paris.

- Natacha MICHEL : Et au théâtre ?

- Florence DELAY : « La vie est un songe » est un concept qui a été créé à un moment pharamineux et c’est cela l’idée de Bergamin, quand le théâtre pouvait refléter la pensée d’un peuple. Cela arrive très peu de fois.

***

- Natacha MICHEL : A la modernité tu as répondu par ce que j’appelle, sous ma responsabilité et provisoirement, un tiers-mondisme spirituel. A l’emploi du temps, qui n’est pas le sens de l’histoire, mais un mouvement de politisation original, propre à certains individus de notre génération et qui allait vers ce qui est réel, tu as répondu par la vie est un songe et le monde est un théâtre... ?

-  Florence DELAY : Comprends aussi que ce sont deux concepts constitutifs de ma pensée parce que je suis bourgeoise, chrétienne et... hispanisante, mais que jusque dans mon agonie je lutterai contre eux. Qu’est-ce que c’est que le démenti de ces trois termes ?

- Natacha MICHEL : Tu n’as en tout cas pas répondu par la défense du monde tel qu’il est. Son illustration peut-être ?

- Florence DELAY : Le mot sueîio en espagnol signifie songe et sommeil. Le verbe querer, vouloir et aimer. Pour ETRE, il existe deux verbes : ser, être à la française, et estar, se trouver. Alors faut-il se trouver sans l’être ou que l’être se trouve dans le monde ? L’Espagne a été incapable de répondre aux questions que sa langue a posé. La France a créé, sans l’appliquer, l’idée que l’être était situé. Ou l’a appliqué sans le nier. La France est une grande tradition de situations. L’être est la situation, celle-ci me conduit au monde. Alors que l’Espagne... Avec notre unique verbe être on est une tentative de réconciliation entre l’essence et l’acte. Ce qui veut bien dire que le songe n’est pas une vie.

- Natacha MICHEL : Créer un personnage qui fasse monde, ou notre solution : un monde qui fasse personnage. La littérature engagée, celle qui va vers un engagement pré-constitué, c’est cuit et archi-cuit. Et pas de littérature souffrante.

- Florence DELAY : J’ai plutôt cherché à dénouer : en faisant de mon premier livre une biographie, et non une autobiographie. De mon second une hétérobiographie. De mon troisième la biographie d’un autre. Du quatrième, un « je » tellement opaque que seule la lumière des autres parvient à éclai¬rer ses aventures.

-  Natacha MICHEL : Tu travailles donc sur « qui parle » qui est une des grandes questions de la littérature française ?

- Florence DELAY : C’est pourquoi je me fais sans cesse interroger par un maître espagnol dans « Riche et légère ». Je me faisait interroger par quelqu’un qui pense que si on n’est pas capable de tuer on est un lâche.

- Natacha MICHEL : « Nous avons préféré saigner l’Espagne que la livrer vivante à Franco » dit à peu près ton personnage. Aller jusqu’au bout ne signifie plus tellement, à notre moment, être capable de tuer, vois les Polonais. Qu’est-ce qui est noble pour toi ?

- Florence DELAY : Ce qui est noble est ce qui m’intimide. Ce qui suscite en moi de l’admiration. Ce qui me fait dire : « voilà un homme qui n’a pas perdu son temps » (petit t). Pour en finir avec « La vie est un songe » en tant que pièce, elle pose le pro¬blème de la liberté. C’est peut-être le mot que j’aime le plus au monde et que je ne lie pas à l’amour. Sigismond se demande comment ayant plus d’âme que le soleil, plus de vie que l’oiseau, plus d’instinct que la bête, plus de souffle que le poisson, il a moins de liberté. Ce moins de liberté il le doit à son emprisonnement par quelqu’un qui se trouve être roi et père à la fois. Alors si je refuse le politique qui est de lutter contre le roi et le psychanalytique qui est de lutter contre le père, qu’est-ce qu’il me reste ?

- Natacha MICHEL : L’inspiration - plutôt que la conspiration - des égaux. Il te reste l’égalité.

- Florence DELAY : Oui, ça oui. J’ai horreur de la distinction entre grands et petits écrivains. La noblesse, pour toi, c’est être sujet d’histoire avec un grand H. La phrase « historique » que j’ai le plus aimé prononcer quand on me l’a demandé pour « Procès de Jeanne d’Arc » est : « Je l’ai cru. J’ai eu la volonté de le croire » qui abolit la foi et lui substitue la volonté.

- Natacha MICHEL : Pour le coup je m’hispanise : vouloir égale aimer !

- Florence DELAY : La volonté est de dire oui. Il y a ceux qui s’établissent par rapport au « non » et ils n’ont aucun intérêt. J’en connais une qui n’est pas loin dont le non est un oui. Celle-là a toujours anticipé.