Dans le Mexique contemporain, il y a de nombreux écrivains. Tournés ou détournés de l’Europe, subissant ou admirant ceux dont la carrière américaine s’y est faite. Regardant leur continent ou leur pays, lus avec avidité par des lecteurs pour qui ils sont encore à la fois des auteurs, des poètes et des informateurs véritables.
Le Perroquet en a rencontré une : Elena Poniatovska, qui en dépit de son nom à lignée pose ses livres et son travail sur le Mexique tel qu’il est, et tel qu’il ne doit pas être. Entre autres livres, dont l’histoire d’une femme qui a connu la révolution de Zapatta, les campagnes et les usines et qui a pour titre : « A la revoyure mon don Jesus », elle est l’auteur d’un livre assez exemplaire sur les évènements de révolte qui, en 1968, et à quelques jours des jeux olympiques à Mexico, conduisirent des masses d’étudiants et des ouvriers dans une manifestation sur la place de Tlatelolco où ils furent massacrés. Cette place autrement nommée place des Trois Cultures comporte une pyramide indienne, une église espagnole, des fleurons d’immeubles modernes. Elle veut symboliser la réconciliation par couches de l’histoire mexicaine appuyée sur la conquête et le génocide des indiens. C’est sur cette place que tout eut lieu en 1968.
« La nuit de Tlatelolco » est le titre de ce livre important d’Elena Poniatovska, nuit triste comme fut nommée par les conquérants espagnols celle qui vit se soulever les indiens contre la férule des espagnols et commencer la guerre contre eux.
« La nuit de Tlatelolco » se présente comme un recueil de dits, de dictons, de proverbes montés dans un assemblage qui ne tentera jamais de restituer la réalité, ou ce qui se passe, ni même de témoigner pour elle. Mais de la perpétuer par une fiction vraie ; c’est en même temps un livre où chacun des aspects historiques de cet évènement, du mouvement qui l’engagea, de la politique qui l’entourait, est présente et traitée. En apparence, donc un montage de documents, un travail de journaliste, qui, quand n’existe aucun journal, fait un livre ou un prospectus. En tout cas de ce journalisme vrai, au ras de la censure, à qui les faits et les phrases échappent comme des prisonniers d’une prison, et courent la chance de n’être pas repris.
ELENA PONIATOVSKA : Le livre est écrit en 1969 après le massacre. Je ne voudrais pas le qualifier de journalisme. C’est un montage littéraire, j’ai vu des étudiants, des prisonniers, des mères de famille. Et ils me disaient tous la même chose. Moi même si j’avais témoigné, j’aurais dit la même chose : j’étais ce jour d’octobre 1968, au coin de la rue à 5 heures de l’après-midi, j’ai vu des feux de bengales (la police a fait éclater des feux d’artifices pour cacher le commencement de la fusillade et les tirs à partir des hélicoptères). Alors j’ai commencé à couper les témoignages. En plus j’inventais selon mon désir et mon émotion. Parce que ce qui est important ce n’est pas de dire, mais que telle ou telle personne même inventée le dise, que quelque chose soit dit.
Mon idée de la littérature, c’est de travailler à partir du réel. Ce qui n’est pas réel je l’invente. Je le fais à ma façon. Ce n’est pas un regard sur la réalité ni du réalisme.
Le livre a eu beaucoup d’éditions, 44, il faut savoir que chacune a eu plus de 5000 exemplaires, ce qui au total fait beaucoup parce qu’il s’agit d’un problème. Les mères ont acheté et les fils et ceux qui ne savaient pas et ceux qui savaient. Les gens n’ont pas oublié et ce livre était une façon de comprendre les choses dans sa propre voix. Personne n’a des journaux, des lieux où soi-même peut se faire entendre. Lire certains livres est peut-être se faire entendre soi-même. Les mères qui ont eu leurs fils tués se sont rapprochés des jeunes. Celles qui ont été manifester à la chambre des députés disaient : « qu’est-ce qu’on peut perdre puisqu’on nous a déjà tué nos fils ».
C’est la dureté du pays même. Le Mexique est un pays très dur. En plus il y a eut les olympiades, alors le président de la République voulait que tout soit terminé. On disait que les étudiants allaient faire sauter le tableau du palmarès. Les groupes para-militaires ont tiré sur la foule. Tous étaient blessés dans le dos. Ce livre n’est un livre sur les voix collectives que parce qu’il n’y a que dans un livre que les voix collectives peuvent être prises une à une. Mais je m’intéresse surtout aux voix qui ne sont pas écoutées.
Je veux faire de la fiction. Toute ma vie, j’étais journaliste. Mais de la fiction basée sur la réalité. Je suis tiraillée : ce dimanche 17 Juillet 1983, on a tiré sur des paysans au Jehitan dans l’isthme de Tetuantepec et sur le peintre Toledo. A cause des terrains occupés. On a délogés les paysans de terres qui appartenaient à de riches accaparateurs. Ce pays est un pays paysan mais pas agricole. On importe jusqu’aux « frigo-les », les fayots, et même le mais que nous avons inventé. Les paysans chassés abandon¬nent la terre et viennent s’installer dans la ceinture de misère des villes. La réforme agraire n’est pas repartie. Souvenez-vous Zapatta « terre et liberté ». Les choses ne sont pas bien faites. Il y a de la corruption. En même temps que le gouvernement donnerait la terre, il faudrait des outils et des crédits. Ici en amérique, on parle du compromis avec le peuple (pour les écrivains). Mais pourquoi écrire quand quantités d’adultes sont analphabètes. C’est pourtant là que les livres ont un grand intérêt.
Ils ne sont ni la voix des analphabètes, ni un appel même à ce qu’ils ne le soient plus. Ils sont là, les livres sont là. Même si le public de mes livres est la petite bourgeoisie.
Les grandes fresques, les grands ouvrages exportables de l’amérique latine, Vargas Llosa, Carlos Fuentes, Roy Bastos, Carpentier, Asturias, en définitive chacun fait un livre sur un dictateur, un patriarche, la vie d’un dictateur qui meurt dans son lit. La raison est que le dictateur c’est un produit d’exportation, une marque de fabrique d’amérique latine. Nous en amérique latine, on voulait se faire reconnaître par l’Europe, la cuisine exotique, on voulait l’explique aux européens, pour appartenir à la famille. Nous qui voulons parler de l’amérique latine à l’amérique latine ne faisons plus de livres sur la cuisine : plus de dictateur.
Juan Rulfo (Pedro Paramo, Le Ilano en flammes) est l’écrivain définitif. Après lui les mexicains écrivent sans adjectifs, sans explication. Mais Rulfo est un arbre qui s’est greffé lui-même. Après lui, il n’y a que lui.
Il faut faire l’écriture de réalité. Toul ce qu’on peut faire à partir de la réalité, donnée comme telle mais jamais conservée comme telle.
Et l’écriture de réalité, j’en ai besoin. Bien sûr, je viens d’une famille très nomade, puisque vous savez, Pologne, France, princes. J’ai choisi ce pays toute petite et d écrire en espagnol. l’ai voulu m’installer ici. Désir d’appartenance. Et ma mère est mexicaine.
La fiction, c’est la réalité qu’on utilise.